Justice : « Oui à l’imprescriptibilité des crimes de sang »

Justice : « Oui à l’imprescriptibilité des crimes de sang »

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Jacques Pradel et Christian Porte.

Si chacun admet qu’une enquête puisse ne pas aboutir faute d’indices matériels, il en va tout autrement lorsque la justice renonce à faire toute la lumière sur un crime au motif de prescription (une disposition prévue à l’article 6 du Code de procédure pénale) alors que surgissent de nouveaux éléments de nature à élucider un crime comme dans le cas de l’affaire des « Fiancés assassinés de Fontainebleau », par exemple. Face à cette situation, Christian Porte, ancien rédacteur en chef du Républicain, spécialiste police-justice, défend l’idée de l’imprescribilité des crimes de sang s’appuyant sur l’impossibilité de clore l’instruction d’un dossier criminel non élucidé. Il a lancé une pétition qui a déjà réuni plus d’un millier de signatures et saisi le Président de la République…

Le Républicain : A propos de la prescription judiciaire de l’action publique, vous parlez de double peine pour les familles des victimes. Pourquoi ?

Christian Porte : Telle est la tragique réalité des oubliés de la Justice, tous ces hommes et femmes qui ont perdu un mari ou une épouse, un fils ou une fille, un père ou une mère dans des circonstances criminelles non élucidées. Double peine en effet que celle d’avoir perdu un proche dans des conditions sanglantes et d’ignorer pourquoi et par qui. Ce n’est acceptable ni humainement, ni socialement ! En France, on estime en moyenne que sur 1000 homicides commis annuellement, 150 à 200 ne sont pas résolus. Dix, quinze, parfois vingt ans s’écoulent sans que la vérité judiciaire n’émerge jusqu’au jour où la justice referme le dossier et renonce définitivement à la recherche de la vérité pour cause de prescription.

Le Rép : Cette prescription, fixée aujourd’hui à vingt ans pour les crimes de sang, s’inscrit comme un dogme fondateur de notre système judiciaire ?

Christian Porte : Ce principe repose sur la théorie du « pardon légal » selon lequel le temps qui passe soumettrait le coupable non interpellé à d’incessantes angoisses liées à la peur d’être arrêté et condamné, ce qui lui « pourrirait  » la vie à chaque instant… Parallèlement, les adeptes de cette idée ont longtemps défendu la thèse que la prescription de l’action publique reposait sur l’œuvre du temps qui réduirait l’intensité du dommage causé à l’ordre social par le coupable et la nécessité de le sanctionner. La société aurait ainsi intérêt à oublier l’infraction passé un certain délai, plutôt que d’en attiser le souvenir en la réprimant tardivement.

Le Rép : Vous évoquez également les progrès de la police technique et scientifique ?

Christian Porte : Les spécialistes estiment que les progrès réalisés dans le domaine de la police technico-scientifique permettent de constater que le dépérissement des preuves ne peut plus être considéré comme un des fondements participant à la justification du délai de prescription de l’action publique en matière de crime (20 ans). Par ailleurs, les améliorations en matière d’allongement de la durée de vie dans notre pays doivent être pris en compte car dix ans ne représentent pas aujourd’hui la même chose qu’hier à l’échelle d’une vie.

Le Rép : En février 2017, l’Assemblée nationale et le Sénat ont voté une loi qui, en matière criminelle, porte la prescription de l’action publique de dix à vingt ans. Cela n’est-il pas suffisant ?

Christian Porte : Au nom d’une justice « normale », celle d’une application rigoriste des lois, notre démocratie abandonne ainsi chaque année des centaines d’hommes et de femmes dans les affres d’un néant judiciaire perçu comme un abandon de la justice face à ses devoirs, un signe d’indifférence, pire, le déni d’une reconnaissance des victimes, un manquement à un devoir de mémoire. Parce que sans vérité il n’y a pas de justice  : « Quand il y a meurtre ou assassinat, le principe même de la prescription est aberrant », dénoncent les associations d’aide aux victimes. » S’appuyant notamment sur l’affaire des « Fiancés assassinés de Fontainebleau », Christian Porte a alerté le Président de la République sur la problématique des délais de prescription en matière de crimes et la situation des « oubliés de la justice ». Par courrier, le Chef de Cabinet du Président de la République lui a fait savoir que Emmanuel Macron, « très attentif aux préoccupations » exprimées dont « il a bien pris connaissance », a transmis le dossier à la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour qu’une réflexion soit menée sur cette situation. Parallèlement, plusieurs parlementaires ont d’ores et déjà fait part de « leur intérêt » pour cette démarche, l’un d’eux souhaitant déposer prochainement une proposition de loi sur le bureau de l’Assemblée Nationale.