Rescapé des attentats du Bataclan, David Fritz Goeppinger se livre avec « Un...

Rescapé des attentats du Bataclan, David Fritz Goeppinger se livre avec « Un jour dans notre vie »

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©Doris Poe
Otage des terroristes lors des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, David Fritz Goeppinger publie ce mercredi 14 octobre l’ouvrage « Un jour dans notre vie ». Un livre-témoignage qui retrace la vie de son auteur, depuis son départ du Chili pour l’Essonne jusqu’à sa longue reconstruction après les attentats.

 

« Le bonheur est parfois caché dans l’inconnu« . C’est par cette citation de Victor Hugo que s’ouvre Un jour dans notre vie, publié mercredi 14 octobre aux éditions Pygmalion. L’inconnu, David Fritz Goeppinger le fréquente depuis bientôt 5 ans. Depuis « les abysses » : les attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan. Ce jour-là, il se retrouve au cœur du drame qui se joue dans l’enceinte parisienne, pris en otage pendant deux heures et demi par les terroristes, en compagnie de neuf autres compagnons.

 

Bien que relatée en détail – et de manière très factuelle – la soirée du 13 novembre n’est pas l’intérêt majeur du livre. Il est surtout question du chemin qui a mené l’auteur à ce concert, depuis le Chili en passant par Athis-Mons, puis de la difficile reconstruction qui a suivi le traumatisme.

 

« El poroto » à Athis-Mons

 

L’histoire de David est d’abord celle d’un voyage. Celui effectué par un enfant chilien de 4 ans, parti de Pucón à destination d’Athis-Mons, dans l’Essonne. Une moitié de tour de la Terre effectuée en compagnie de sa maman, Ximena. Au bout du trajet il retrouve son père, installé en France, mais découvre aussi un monde nouveau. « Comme beaucoup d’expatriés, j’ai un souvenir très précis de mon arrivée en France, explique David Fritz Goeppinger. Je me rappelle l’atterrissage à Orly, de la BX de mon grand-père, des grandes routes bétonnées et surtout des feux rouges. Je n’en avais jamais vu autant.« 

 

De son enfance, passée dans l’appartement de ses grands-parents aux « 3F » d’Athis-Mons, « el poroto » (surnom donné par ses parents, du nom d’une spécialité chilienne) garde également des souvenirs plus douloureux. Ceux d’une famille en situation irrégulière. « Nous prenions souvent le RER très tôt le matin avec ma mère pour nous rendre à la préfecture d’Evry. Là-bas nous attendaient d’énormes files d’attente avec au bout, toujours le même refus de nous accueillir. J’en garde un souvenir de grande incertitude pour ma famille« .

 

Por la razón o la fuerza

 

Rapidement, l’incertitude fait place à l’urgence. Un peu moins de deux ans après son arrivée, un avis d’expulsion est prononcé. La famille a 21 jours pour quitter le territoire. « C’est un peu exagéré mais on pourrait presque dire que les valises étaient prêtes. On se préparait à revenir d’où nous venions. » Au dernier jour de sursis, la politique change la donne : l’inauguration du nouveau commissariat d’Athis entraîne un nouveau départ pour la famille chilienne. Ils sont régularisés.

 

Cette quête d’identité – et de nationalité – est prégnante dans la vie du jeune homme. Elle prendra un tournant final à partir du 8 décembre 2016. Convaincu de vouloir devenir français après les événements du Bataclan, David se retrouve à cette date devant la direction des naturalisations, à la préfecture de Police de Paris. Interrogé sur la devise de la France, il pense tout d’abord à celle du Chili, « Por la razón O la fuerza », avant de se raviser et de lâcher la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Quelques mois plus tard, à l’issue d’une cérémonie au Panthéon, David Fritz Goeppinger devient officiellement franco-chilien.

 

Un jour dans notre vie
Retour à Athis-Mons, en 2015, où David mène une vie somme toute classique de banlieusard. Après avoir « fait les 400 coups » au lycée Clément-Ader avec son ami Dylan et avoir découvert la photographie, dont il désire faire son métier (malgré les réticences de ses conseillers d’orientation qui le collent d’abord dans une formation… d’électricien), le jeune homme a évolué. Au volant de sa Twingo, il effectue chaque jour le trajet reliant Athis -où il vit chez ses parents- et le River, bar parisien duquel il est devenu directeur.

 

Une situation qui se poursuit jusqu’à cette soirée où il lace ses bottes et s’apprête à se rendre, à contre-cœur, au concert des Eagles of Death Metal auquel il a été invité. L’événement a lieu au Bataclan, le 13 novembre 2015.

 

Fluctuat nec mergitur

 

« Comment dormir après tout ça ? » Et comment se réveiller du cauchemar ? Au sens propre, c’est chez son ami Guillaume que David émerge du sommeil le 14 novembre. Après être allé chercher sa voiture -encore garée près du Bataclan-, il rentre à Athis-Mons. « J’avais les mêmes vêtements, la même voiture et j’empruntais la même route que d’habitude. Pourtant je n’étais plus la même personne. C’est une sensation très étrange, comme si je rentrais après des années d’absence« , se rappelle t-il.

 

Les retrouvailles avec ses parents, les centaines de notifications Facebook, l’hyper-médiatisation, les rendez-vous chez la psychologue ou encore ses premiers concerts dans le monde d’après, c’est alors le récit d’un long chemin qui s’engage pour David. Celui d’une reconstruction qui passera également par le soutien de ses nouveaux amis, les personnes avec lesquelles il a affronté la mort dans les coursives du Bataclan (qu’il surnomme ses « potages »), mais aussi et surtout l’histoire d’amour avec celle qui est devenue sa femme, Doris.

 

Le monde d’après

 

©Doris Poe

Cinq ans plus tard, on peut parfois croiser David dans l’un des coffee-shop parisiens qu’il apprécie et dans lequel il a écrit une partie de son livre. Avec ses cheveux longs, ses épaules carrées, son air sincèrement aimable et son humour certain, il a tout du pote que tout le monde aimerait avoir. Aujourd’hui, si il a encore du mal à répondre à la question « ça va mieux ? », le jeune homme de 28 ans a avancé. Il est à présent marié, parisien et a réalisé son envie d’enfance de devenir photographe professionnel. Seule signe extérieur de son traumatisme : l’un de ses nombreux tatouages, qui mentionne la date des attentats en chiffres romains.

 

Dans un autre ouvrage, Victor Hugo écrivait que « Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière ». Après avoir connu sa nuit un tragique soir de novembre, nul doute que David Fritz Goeppinger avance désormais, à son rythme, vers la lumière.

 

Un jour dans notre vie, 19€90, aux éditions Pygmalion